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cinepmv
7 août 2006

Le livre au cinéma

testelerama

Grimoire, mon beau grimoire

Source d’inspiration d’innombrables films, le livre est également objet de fascination pour les cinéastes, qui n’hésitent pas à lui donner le beau rôle. De Fahrenheit 451 à The Hours, en passant par Le Nom de la rose ou Misery, florilège de scènes où l’écran s’est emparé de l’écrit.

Ambiance gothique. Une chandelle, un ouvrage avec un fermoir qu’une main défait. Caractères enluminés. « Il était une fois… » Une voix off de conteur répète le texte écrit, et puis musique ! Pas follement original comme liminaire et pourtant on ne compte pas les films – des Visiteurs du soir à Peau d’âne – qui ont débuté ainsi… Comme si le cinéma, pour raconter une histoire ancienne, à plus forte raison une fable, se devait d’abord d’exposer le livre, caution et sésame pour basculer dans un autre monde. Ce code, qui a longtemps perduré, est aujourd’hui révolu, y compris dans les films pour enfants qui ne sont plus dupes de rien. Voyez le cas de Shrek : au début du film, l’ogre dégueu, blotti au fond des latrines, ricane en parcourant les pages d’un livre de fables vantant les atouts d’une princesse blonde et d’un prince vaillant. Avant de déchirer les pages pour les utiliser comme papier hygiénique !
Maltraité (par Shrek, les rats, le feu et les inquisiteurs) ou bien sacralisé, tel est le destin du livre à l’écran. Pour la fable et le fantastique, c’est un soutien indispensable. Et pour cause : sans grimoire ni livre sacré, point de sorcier ni de mage, ni même de diable. Dans combien de films a-t-on vu un prêtre ou un exorciste crier « Arrière Satan ! » en brandissant une bible ? Le livre est soit un bouclier soit un tremplin qui propulse de l’autre côté du miroir, dans le merveilleux – L’Histoire sans fin – ou l’horreur – L’Antre de la folie de John Carpenter, où le roman fantastique, sorte de monument denté, dévore littéralement le personnage. Récemment, c’est un célèbrissime sorcier en culottes courtes, Harry Potter, qui a redonné toutes ses lettres de noblesse au livre magique.

Rendez-vous dans la bibliothèque
La bibliothèque, à Poudlard comme ailleurs, voilà un décor qui a inspiré le cinéma (1). C’est un lieu imposant où l’on doit faire silence (comme au cinéma), un temple du savoir et de la concentration. Voyez la bibliothèque de Berlin des Ailes du désir de Wim Wenders, cathédrale de verre et de papier, où des anges en pardessus trouvent refuge et déambulent comme en rêve. Moments de recueillement et de compassion dans un espace aéré sinon aérien. La bibliothèque est plus souvent associée à un monde souterrain, au dédale voire au tombeau. Dans Toute la mémoire du monde (1956), documentaire aux travellings hypnotiques, Alain Resnais nous propose un voyage d’exploration dans les arcanes de la Bibliothèque nationale. On y suit le cheminement d’un livre (intitulé Mars !), personnage à part entière. Non dénué d’humour mais aussi inquiétant, le film pointe assez bien ce qu’il peut y avoir d’oppressant dans un tel lieu de mémoire clos sur lui-même, où l’on accumule et conserve coûte que coûte. Les bouquins qui étouffent, la culture qui rend captif, c’est le sujet même du premier film original de Mathieu Amalric, Mange ta soupe (1997). Un fils est de passage chez sa mère, une critique littéraire possessive. La maison, antre et piège, déborde de livres. Disposés en piles instables, accumulés dans toutes les pièces, ils prolifèrent tel un cancer en bouffant tout l’espace vital.
La culture, cela peut être un fardeau. Titiller l’esprit de sérieux papal des scolastiques, c’est ce qui motive Jean-Jacques Annaud dans son adaptation du thriller médiéval fameux d’Umberto Eco, Le Nom de la rose (1986). Là, le livre tue carrément (grâce à une encre empoisonnée). Le film, assez médiocre, a le mérite de montrer l’une des tours de Babel les plus impressionnantes jamais vues à l’écran (chapeau au décorateur, Dante Ferreti). Un édifice gigantesque en trois dimensions, qui semble se ramifier comme un arbre infini ou engloutir quiconque s’aventure dans le labyrinthe. A ce puits de science sans fond, Annaud et Eco préfèrent au final le nomadisme, toujours formateur : le maître Guillaume de Baskerville, as de la déduction, et son assistant quittent l’abbaye à dos de cheval, direction la Renaissance !
Sur tel ou tel rayonnage, il y a toujours une niche qui cache une lettre précieuse ou un revolver, un gros ouvrage qui déclenche un mécanisme ouvrant sur un passage secret. Si la bibliothèque mène au tréfonds, c’est aussi le lieu du crime, comme au Cluedo. Meurtre et suicide, on a le choix dans La Neuvième Porte (1999), où Corso, l’enquêteur bibliophile, traverse l’Europe pour retrouver deux exemplaires d’un ouvrage de démonologie signé Lucifer himself.

Le sexe du livre : féminin
Bibliothécaire, enseignante, lectrice : c’est souvent la femme qui valorise les imprimés. D’où la scène archétypale de l’homme qui reluque les jambes de la bibliothécaire perchée sur l’échelle. Jadis interdite de lecture, la femme qui lit demeure un objet de fantasme. C’est le postulat intéressant de La Lectrice de Deville, mais qui s’avère hélas par trop démonstratif, sauf lorsque Miou-Miou lit Sade, enfin toublante, parce que troublée. La lecture d’un livre fétiche qui chamboule l’existence est également à l’origine de The Hours de Stephen Daldry, habiles variations autour du roman d’exploration intérieure de Virginia Woolf, Mrs Dalloway. Parmi les trois portraits de femmes, on retient surtout celui de Laura (Julianne Moore), mère de famille au bord de la dépression nerveuse qui fuit soudain se réfugier à l’hôtel. Pour rejoindre un amant ? Oui, et cet amant est un livre qui se nomme Mrs Dalloway, et la révèle à elle-même, étreint son âme et l’aide à envisager la mort comme une solution possible.
Moins d’émotion poignante mais plus d’extravagance mystérieuse dans Le Journal du séducteur de Danièle Dubroux. Là, c’est l’essai éponyme du Danois Kierkegaard qui agit comme un déclencheur de fiction, un « philtre d’amour » (dixit l’auteur). Une étudiante le trouve par hasard et, voulant le rendre à son propriétaire, est entraînée dans une aventure des plus poétiques. Le film est un jeu fructueux avec le texte et s’inspire de son acuité intellectuelle, de ses réflexions sur la magie de l’amour et le pouvoir de la séduction.

L’écrivain, en panne ou exalté
Pour arriver au livre fini et brodé, il faut bosser. Vaste sujet que l’écriture, ses affres et ses accessoires – la plume, la machine à écrire, l’ordinateur. Le cinéma est assez friand des écrivains, plus que des peintres ou des musiciens. Dans Misery, voilà un auteur à succès qui songe à se débarrasser de son héroïne mais se retrouve pris en otage au sens propre par son lectorat : une lectrice folle furieuse qui le contraint sous la torture à pondre un nouveau manuscrit. Sarah Norton, l’auteur vieillissante de polars de Swimming Pool, voudrait bien elle aussi créer quelque chose de personnel. Sa rencontre avec une bimbo dans une villa du Lubéron et son séjour sanglant là-bas (vécu ou imaginaire ? mystère) fournit la matière de son nouveau roman et du film lui-même.
Qu’avons-nous encore, comme écrivains, en magasin ? Un scribe rigolo (Jamel Debbouze dans Astérix et Obélix : mission Cléopâtre), un romancier excentrique qui prend un livre de lui à la bibliothèque publique pour le dédicacer à la femme qu’il aime (George Peppard et Audrey Hepburn dans Diamants sur canapé), un nègre en pleine déconfiture (Edouard Baer dans Mensonges et trahisons et plus si affinités…), un agrégé qui devient gigolo puis romancier (Auteuil dans Mauvaise Passe) plus une flopée d’écrivains frustrés chez Woody Allen. Pour le feu de l’inspiration, on conseille vivement Malina de Werner Schroeder, opéra convulsif autour d’une romancière tourmentée (Isabelle Huppert), qui se consume dans l’écriture. Et puis Le Festin nu, film halluciné qui montre le processus littéraire comme un acte vital et pulsionnel, un corps-à-corps monstrueux et éjaculateur, avec des mots spongieux et grouillants émanant d’une machine à écrire polymorphe.

La Nouvelle Vague sublime le livre
Pour ce qui est de l’acte créatif, les cinéastes s’appliquent. Mais lorsqu’il s’agit de montrer le livre relié, plus personne n’assure. Boîte creuse, jaquette toc, lettrages moches : le livre-objet, neuf fois sur dix, paraît faux. A part, la Nouvelle Vague : les bouquins y sont réels, usés, pris directement à la maison, puis magnifiés. On a souvent dit que les premiers films des jeunes turcs étaient constitués d’hommages ou d’emprunts à des pans entiers du cinéma. On a moins dit à quel point la Nouvelle Vague a signé l’une des plus belles apologies du livre. Pour Truffaut et les autres, qui, avant de filmer, avaient collaboré à plusieurs revues, la littérature a servi de mine inépuisable et l’écriture, de moteur.
Le livre comme idole est surtout manifeste chez les frères ennemis, Godard et Truffaut. C’est à qui citera, ingurgitera, exhibera le plus d’ouvrages. Incroyable compétition et conversation par livres interposés qui mériterait à elle seule une thèse de troisième cycle. Les deux bibliophiles ont des styles distincts mais se rejoignent dans l’abondance : des montagnes de livres se dressent dans leurs films et les citations pleuvent. Plusieurs acteurs s’affirment comme de grands récitants : Belmondo (lorsqu’il lit Elie Faure dans sa baignoire dans Pierrot le fou), Charles Denner et bien sûr Jean-Pierre Léaud, diseur de bonne aventure qui, en associant le geste (l’index levé) et la parole (fervente), devient un mythe. Via Antoine Doinel, il est le voyant des sixties, duffle-coat sur les épaules, un livre toujours à portée de main. Lecteur insatiable, Doinel lit en prison Le Lys dans la vallée (Baisers Volés), dévale l’escalier avec les dix-neuf volumes du journal de Léautaud (Domicile conjugal), puis devient écrivain avec Les Salades de l’amour – un roman que lit fiévreusement Marie-France Pisier dans le train (L’Amour en fuite).
La vénération de Truffaut pour les livres lui inspire directement deux films. D’abord Fahrenheit 451, adaptation de Ray Bradbury qui nous plonge dans un univers déshumanisé, où les livres sont interdits et brûlés s’ils sont trouvés. Truffaut réussit très bien à donner âme et corps aux livres, stigmatisés et traqués. Une personnification qui s’accomplit pleinement lorsque les résistants exilés sur l’île ont appris chacun un roman par cœur et portent son titre comme patronyme (Orgueil et Préjugés, de Jane Austen, Ulysse, de Joyce…). Et puis, il y a L’Homme qui aimait les femmes, récit d’un séducteur écrivain qui raconte ses conquêtes. Outre son éloge original de la gent féminine, le film est riche d’enseignement sur l’écriture d’un manuscrit et les angoisses imprévues que suscite une première publication.
Chez Godard, le livre n’est pas le sujet mais un matériau plastique à part entière qu’il accumule, découpe, colle, mixe avec d’autres pour des assemblages hétéroclites. Chez lui, on lit dans n’importe quelle position, partout et de tout, Dostoïevski, les Pieds Nickelés, le Petit Livre rouge. Eddie Constantine feuillette, un flingue à la main (Alphaville), et Belmondo, qui a toujours un volume sous le bras dans sa fuite avec Anna Karina (Pierrot le fou), réclame « un disque tous les cinquante livres, la musique après la littérature ! » Sampler, détourner, citer pour inciter au romanesque, tel est le credo godardien. Il construit des répliques en jouant avec les couvertures (dans Une femme est une femme). Il pille outrageusement, et les textes en ressortent grandis.
Inaltérable malgré l’avènement du numérique, le livre continue de servir bon nombre de situations au cinéma. Qu’il soit lu, appris religieusement, jeté ou exhibé, brûlé ou loué, que ses feuilles soient déchirées ou mangées (si, si, il y a des bibliophages), son pouvoir d’attraction est tel que le cinéma lui-même a fini par copier sa silhouette : les DVD maintenant, vous les rangez où ?

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